Premier Maigret avec Jean Gabin, Maigret tend un piège est une splendide réussite grâce à la réalisation fluide de Delannoy et au jeu impeccable de l’ensemble d’un casting formidable. Le meilleur de la série et l’un des meilleurs Maigret, tout simplement.
Synopsis: Trois femmes sont retrouvées mortes, vêtements lacérés, dans le quartier du Marais à Paris. Au quatrième meurtre, le commissaire Maigret comprend qu’il a affaire à un tueur en série, un malade mental, et décide de lui tendre un piège. Auprès des journalistes, le commissaire fait passer un ancien malfaiteur pour le tueur, espérant pousser le vrai à se découvrir.
Un roman marquant, librement adapté
Critique: Ecrit et publié en 1955, le roman Maigret tend un piège est rapidement considéré comme un des meilleurs de la série consacrée par Georges Simenon au commissaire Maigret. Plus psychologique que spectaculaire, le roman s’attache à décrire un cas psychiatrique intéressant, cherchant à pénétrer dans la psyché désordonnée d’un serial killer. Cette thématique originale pour l’époque permettait de renouveler en douceur une série de romans qui comptait déjà de très nombreux titres.
Photo : © TF1 Droits audiovisuels / © 2020 Coin de Mire Cinéma. Tous droits réservés.
La société de production Intermondia Films, qui a déjà financé plusieurs succès de Jean Gabin, se porte acquéreur des droits d’adaptation pour le cinéma. Assez rapidement, Jean Delannoy est attaché à la réalisation du long-métrage, lui qui vient tout juste de signer Notre-Dame de Paris (1956), énorme succès d’après Victor Hugo (5,6 millions d’entrées). Le cinéaste travaille à l’adaptation en compagnie de Rodolphe-Maurice Arlaud dont ce fut l’un des premiers travaux pour le cinéma. Aux dialogues, l’inénarrable Michel Audiard vient apposer sa patte si reconnaissable. Enfin, pour incarner le célèbre commissaire, Delannoy retrouve Jean Gabin qu’il a déjà eu le loisir de diriger dans La minute de vérité (1952).
Un casting quatre étoiles
Au passage, le casting est complété par quelques nouvelles valeurs sûres comme Annie Girardot qui venait justement de donner la réplique à Gabin dans Le rouge est mis (Grangier, 1957). Jean Delannoy offre également une nouvelle fois un rôle important à Jean Desailly qu’il a contribué à faire connaître du grand public avec La symphonie pastorale (1946). Histoire de compléter harmonieusement ce casting, le réalisateur fait aussi appel à des pointures du théâtre comme Jeanne Boitel qui incarne ici l’épouse de Maigret ou encore Lucienne Bogaert qui joue le rôle de la mère castratrice. Si les cinéphiles connaissent moins bien ces personnalités qui ont privilégié leur carrière théâtrale, elles parviennent à s’imposer en quelques scènes seulement.
Souvent critiqué pour l’académisme de sa mise en scène, Jean Delannoy parvient avec Maigret tend un piège (1958) à signer l’un de ses meilleurs films. Il utilise notamment les studios d’Épinay-sur-Seine au mieux, et ceci dès les premières scènes de meurtres qui évoquent par leur atmosphère les meilleures œuvres de Fritz Lang. Le cinéaste s’appuie notamment sur de superbes éclairages contrastés de Louis Page qui jouent à merveille avec les zones d’ombre. Les décors de René Renoux sont à la fois excessivement esthétiques et en même temps parfaitement crédibles, au point qu’on a parfois du mal à distinguer les passages filmés en studio et ceux tournés en décors naturels dans le Marais de Paris.
L’étude d’un cas psychiatrique rarement montré à l’époque
Très beau sur le plan esthétique, Maigret tend un piège bénéficie également d’une mise en scène qui parvient à éviter l’aspect théâtral – malgré la multiplication de scènes d’intérieur – grâce à des mouvements de caméra discrets, mais qui savent se faire fluides et efficaces. Rien de superflu ou d’ostentatoire, mais la caméra de Delannoy sait traquer les moindres détails qui peuvent faire avancer l’intrigue. Cette précision qui tient de l’horlogerie fine permet de compenser la longueur conséquente du métrage (quasiment deux heures), alors même que le suspense entourant l’identité du meurtrier est assez rapidement éventé.
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En réalité, comme dans le roman, ce qui intéresse avant tout les auteurs tient en la description d’un cas psychiatrique lourd, fondé notamment sur l’impuissance sexuelle et les conséquences engendrées par la présence d’une mère castratrice.
Gabin et Desailly, confrontation au sommet (de l’art dramatique)
Si l’on aime beaucoup les séquences de confrontation entre Gabin et Girardot, le long-métrage gagne en puissance dès l’intervention de Jean Desailly. L’homme de théâtre livre une prestation tout à fait remarquable qui tient du génie. Son jeu très nuancé et expressif contraste magnifiquement avec celui plus intériorisé de Gabin, véritable bloc de certitudes. Jouant au chat et à la souris, les deux personnages – et donc les deux interprètes – se renvoient la balle avec une jubilation de chaque instant. Ils sont évidemment pour beaucoup dans la réussite de cette adaptation en tout point remarquable.
Il est d’ailleurs important de signaler que l’évocation des méfaits d’un serial killer n’était pas si courante que cela dans la production française d’époque. Cette première adaptation de Maigret interprété par Jean Gabin est arrivée à une époque où la star connaissait un retour en grâce impressionnant. Ainsi, Maigret tend un piège a attiré plus de 2,6 millions d’entrées lors de sa première exploitation en salles, pour finir par dépasser les 3 millions de spectateurs à l’issue d’autres sorties.
1958 : l’année Gabin
Mais Gabin n’allait pas s’arrêter en si bon chemin cette année-là puisqu’il est aussi à l’affiche des Misérables (Le Chanois, 1958) qui a cumulé près de 10 millions d’entrées en deux époques. Enfin, la star termine 1958 sur l’énorme succès des Grandes familles (La Patellière, 1958) qui enchante 4 millions de spectateurs. Une omniprésence encore complétée par les sorties d’En cas de malheur (Autant-Lara, 1958) et du Désordre et la nuit (Grangier, 1958).
Face à ce très beau succès, Gabin, Delannoy et Audiard ont retrouvé le commissaire Maigret pour un Maigret et l’affaire Saint-Fiacre (1959) de bonne facture. On sera moins indulgent avec le troisième volet Maigret voit rouge (Grangier, 1963), nettement inférieur. Enfin, pour être complet, signalons que le roman Maigret tend un piège a été adapté maintes fois pour la télévision, aussi bien en France avec Bruno Cremer qu’en Angleterre avec Rowan Atkinson.
Critique deVirgile Dumez
Les sorties de la semaine du 29 janvier 1958
Maigret au cinéma
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